La religion d'après Schleiermacher
Introduction
Or, Schleiermacher est à bien des égards le père spirituel des théologiens du XIXème siècle. Il les a tous marqués de son empreinte, aussi bien les théologiens libéraux que les théologiens orthodoxes (sauf A. Ritschl).
Selon K. Barth, pourtant critique vis-à-vis de Schleiermacher, celui-ci " n'a pas fondé une école, mais une ère nouvelle ". " S'il s'est souvent distancé de lui, ou s'il a déformé sa conception jusqu'à la rendre méconnaissable, s'il a protesté contre lui, ou s'il l'a négligé et oublié, ce siècle n'en est pas moins le sien pour ce qui est du domaine de la théologie. Après toutes sortes de grands et de petits écarts, on est toujours revenu à Schleiermacher " (Histoire de la théologie protestante au XIXème siècle, p.233).
- Ainsi, l'un des pères du réveil luthérien en Allemagne du Nord, Harms, écrit : " J'étais en proie à toutes sortes de questions suscitées par le rationalisme et à des doutes […] je me suis mis à lire les Discours religieux […] alors Schleiermacher a tué en moi le rationaliste ".
- L'école des théologiens d'Erlangen (Thomasius, etc.…) s'est inspirée de Schleiermacher dans son entreprise de ne pas décrire les dogmes en soi, mais dans leur impact sur le croyant, et de faire une théologie de l'expérience.
- Mais il y eut aussi des courants moins traditionnels et plus critiques vis-à-vis des doctrines et des institutions qui se sont réclamés de Schleiermacher, parce qu'il a mis au premier plan le concept de religion vécue (contre l'intellectualisme), c'est le cas de Trœltsch.
- C'est au XXème siècle que viendra la grande réaction contre Schleiermacher avec E. Brunner (Die Mystik und das Wort) et K. Barth, soulignant l'opposition entre une théologie de type réformateur et celle de Schleiermacher. La Réforme parle de l'Evangile, de la révélation et du Christ, Schleiermacher de la religion. Mais Barth n'en souligne pas moins l'importance de Schleiermacher, et les jugements positifs sur ce théologien sont nombreux.
- La spécificité de la foi par rapport à la morale et la métaphysique.
- Une réflexion sur le type de rapport entre la foi chrétienne et la culture d'une époque donnée. Schleiermacher, en définissant la religion, veut répondre au romantisme.
- Plus généralement, Schleiermacher pose la question de l'apologétique chrétienne. Peut-on prouver que la foi chrétienne est une démarche possible, plus même, que c'est une démarche nécessaire ?
- Comment interpréter par ailleurs la prétention d'une religion à l'exclusivité ? Comment l'accepter dans mon existence sans laisser violer mon moi, et de sorte que j'y trouve plutôt ma propre identité ?
Notons enfin combien notre époque est sensible à toute démarche soulignant le vécu, plutôt que le discours et les concepts. Or, au centre de la démarche de Schleiermacher se placent la piété, la religion vécue, l'expérience de Dieu. Il relativise les concepts et un certain anti-intellectualisme émerge chez lui.
- au niveau du vocabulaire : piété, religion, sentiment (de dépendance absolue)… : ces termes nous sont devenus étrangers pour parler de la foi chrétienne ;
- entre Schleiermacher et nous, il y eut les maîtres du soupçon : Feuerbach, Marx, Nietzsche, Freud…
Qui fut Schleiermacher ?
Toutefois, l'étroitesse de ce milieu, la longue liste des livres interdits et l'absence d'esprit critique finirent par lui peser. Il prit ses distances et se plongea avec délices dans le monde de la culture contemporaine qui lui avait été fermé jusque là. Il fit des études de théologie à Halle, se familiarisa avec la pensée de Kant, mais aussi de Spinoza.
De 1796 à 1802, il fréquenta les milieux romantiques de Berlin, en particulier Schlegel et Novalis. En 1799, il publia à leur intention sa première œuvre majeure : les Discours sur la religion à l'intention des esprits cultivés parmi ses contempteurs.
Il fut ensuite successivement précepteur, professeur de théologie à Halle puis à Berlin à partir de 1810. Il a donné des cours sur toutes les matières théologiques, sauf l'Ancien Testament.
De ses diverses œuvres, je citerai surtout la Brève présentation des études de théologie (1810) et son ouvrage fondamental : La foi chrétienne d'après les principes de l'Eglise Evangélique, 1821-1822.
Durant toute sa vie, il n'a pas cessé de prêcher.
- Dans la théologie scientifique, Schleiermacher en est resté à la démarche la plus difficile à son époque : il a consacré toute son énergie à la dogmatique, alors que beaucoup de ses contemporains se limitèrent à l'histoire.
- Notons encore que Schleiermacher s'est rendu compte que ce qui, en dernière instance, distinguait la théologie de la philosophie était la christologie. Il a tenté avec peine souvent, mais avec persévérance, de lui faire une place dans son système. Il a voulu être un théologien christocentrique.
Dès son premier ouvrage - les Discours - il cherche à dialoguer avec les personnes cultivées de son temps. Il participe de tout son être à la conscience culturelle de son époque.
Entre 1814 et 1829, Schleiermacher fut mêlé de très près à trois problèmes de la politique ecclésiale en Prusse :
- la réalisation d'une union entre les Eglises luthérienne et réformée,
- l'introduction d'une nouvelle Agende (liturgie) pour l'Eglise de Prusse que le roi, en tant qu'évêque suprême, voulait imposer,
- l'introduction d'une constitution d'Eglise, souhaitée par de nombreux membres de l'Eglise Evangélique, mais que le gouvernement prussien hésitait à concéder.
- d'une part, parce qu'il était opposé à l'uniformité
- d'autre part parce qu'il était partisan de l'indépendance de l'Eglise vis-à-vis de l'Etat. Dans cette perspective, il demanda aussi que fût réalisée une constitution proprement ecclésiale de type presbytéro-synodal. C'est l'Eglise seule qui - selon lui - avait le droit de décider librement de sa liturgie. Il en résulta un conflit long de plusieurs années où le roi s'efforça d'imposer l'Agende (même par des décorations accordées non propter acta sed propter agenda !).
Par ailleurs, il souligne l'indépendance de l'université vis-à-vis de l'Etat. Il donne aussi son avis sur les Facultés de théologie. Celles-ci devaient comporter quatre disciplines : exégèse, histoire, dogmatique et pratique. Mais pas de chaire en théologie pratique. Selon Schleiermacher, cela devait être du ressort de l'Eglise. D'autre part, il admettait qu'un professeur pouvait enseigner deux disciplines.
La démarche de Schleiermacher dans les Discours sur la religion (1799)
- Il observe que le phénomène n'est pas entièrement nouveau. Nous lisons déjà dans 2 Thes.3,2, dans la traduction de Luther : " Der Glaube ist nicht jedermans Ding ".
- Par ailleurs, il note que bien peu d'hommes ont compris quelque chose à la religion. Celle-ci a été déformée et travestie. Il faut donc retrouver la religion vraie.
- Enfin, Schleiermacher relève que, faute de pratique religieuse (" les divinités des temples sont délaissées "), et faute de religion personnelle ou familiale, ses amis n'ont pas de lien avec le monde de la religion. Leurs divinités, ce sont l'humanité et la patrie, l'art et la science qui les occupent tellement qu'il n'y a plus de place pour autre chose. Certes, ils ne nient peut-être pas théoriquement la réalité d'un être transcendant. Mais ils n'ont pas de relation existentielle avec lui. " Vous ne sentez rien ni pour lui, ni avec lui ". Ils vivent une existence fermée, autarcique, existence terrestre riche et diverse qui se suffit à elle-même, et qui peut se passer de l'éternité. Dans cette optique, le culturel a pris la place du cultuel, les valeurs ont supplanté la transcendance.
- D'abord, il se sent " poussé par une nécessité intérieure irrésistible ". Il ne parle pas parce qu'il remplit une fonction (Amt), mais parce qu'il est poussé de l'intérieur par le Dieu qui habite en lui. C'est donc un témoignage personnel qu'il propose et c'est une catégorie susceptible de retenir l'attention de ses amis romantiques.
En dernière instance d'ailleurs, ce n'est pas une question de mots, mais de rayonnement, de silence plutôt que de bruit. Et s'il faut parler, c'est plutôt de l'ordre du jeu que du discours fanatique. Le discours d'ailleurs est second, il peut seulement aider à clarifier, et le jour viendra où nous n'aurons plus besoin de mots. En revanche, la religion est toujours pour Schleiermacher quelque chose de communautaire. C'est ensemble qu'il nous faut entrer dans le sanctuaire et la religion passe par la communication.
Selon Schleiermacher, il ne faut pas définir la religion comme " crainte devant un être éternel " ni comme " attitude comptant sur un autre monde ". Ce n'est pas cela le contenu central de la religion.
Par ailleurs, il reconnaît que la religion a souvent été synonyme de " folies humaines ". Elle s'est exprimée par " les fables insensées des nations sauvages ", mais aussi " par le déisme le plus subtil ", par " des superstitions grossières ", mais aussi par " l'assemblage entre des fragments de métaphysique et de morale qu'on appelle le christianisme raisonnable ".
Enfin, Schleiermacher ne présente pas la religion comme un appui de la morale.
La religion a son propre domaine dans l'âme (Gemüth). Il ne faut pas la transplanter dans d'autres domaines. Et la morale, par exemple, doit se justifier par sa propre logique et non par la religion.
Par la métaphysique, l'homme veut comprendre l'Univers à partir de la nature finie de l'homme, analyser, disséquer, classer la réalité. La religion, au contraire, veut vivre la réalité de l'univers.
Quant à la morale, elle " part de la conscience de la liberté ". L'homme est libre et la morale établit le champ infini de cette liberté et de l'engagement moral. La religion, au contraire, est, en dernière instance, passivité, c'est se laisser saisir par l'univers. " La religion respire là où la liberté elle-même est déjà redevenue nature ". Dans son livre de 1821, Der christliche Glaube, Schleiermacher définit la religion comme le " sentiment de dépendance absolue ". Voici comment, dans ses Discours de 1799, il décrit encore la religion dans son rapport à l'univers :
" L'Univers est dans un état d'activité ininterrompue et se révèle à nous à chaque instant. Chaque forme qu'il produit, chaque être auquel, du fait de l'abondante plénitude de la vie, il confère une existence distincte, chaque circonstance qu'il fait jaillir de la richesse de son sein toujours fécond, est une action qu'il exerce sur nous. Par suite donc, prendre chaque chose particulière comme une partie du tout, chaque chose limitée comme une représentation de l'Infini, c'est là la religion. Mais ce qui veut aller plus loin, ce qui veut pénétrer plus profondément dans la nature et la substance du tout, cela n'est plus de la religion, et, bien que cela veuille être considéré comme tel, cela retombera inévitablement dans la sphère d'une vaine mythologie " (p.154).
Or, l'esprit humain est tendu vers la vérité et déterminé, y compris dans sa démarche religieuse, par la quête de la vérité. En d'autres termes, Dieu n'est pas seulement la puissance dernière et suprême régnant sur l'âme humaine, mais aussi l'objet dernier et suprême de la connaissance du réel.
" Le but de notre religion, écrit Schleiermacher, c'est d'aimer l'esprit du monde et de contempler joyeusement son activité. La crainte n'est pas dans l'amour ".
Le Dieu de Schleiermacher n'est pas celui de l'Ancien Testament, mais le Dieu qui donne au monde son unité, son sens, son harmonie. Le Dieu qu'on peut aimer et dans lequel on peut, au-delà des contradictions de l'existence, mettre sa confiance.
Schleiermacher précise encore d'une autre manière ce qu'est le sentiment religieux. C'est, d'après lui, un sentiment d'humilité par rapport à l'Eternel et l'universel. C'est aussi la reconnaissance et la compassion avec les autres, ainsi que la capacité à se repentir.
Selon Schleiermacher, nous avons une certaine liberté face aux notions traditionnelles, telles que celles de miracle, de révélation et même de Dieu. Il peut y avoir religion sans le concept de Dieu, tel qu'on l'entend traditionnellement. Pourtant, d'une certaine manière, ces notions sont nécessaires pour qu'elles expriment ce qui est universel et général dans la religion.
Cependant Schleiermacher propose de nouvelles interprétations. Qu'est-ce que le miracle selon Schleiermacher ? Ce n'est pas une intervention transcendante de Dieu dans l'espace de notre finitude. Schleiermacher déplace le miracle dans notre subjectivité : c'est une manière de percevoir les événements ou les choses de la nature. Le miracle est signe qui porte l'homme vers l'infini. L'événement le plus quotidien peut devenir signe et donc miracle. Être religieux, c'est voir partout des miracles.
Schleiermacher relativise aussi l'idée de Dieu. Il y a eu des hommes religieux qui n'étaient pas les défenseurs fanatiques de l'existence de Dieu. Ce qui est à la base de la religion est incontestable : c'est l'activité incessante d'une vie et d'une action divines que Schleiermacher nomme dans les Discours : l'Univers. Mais ce n'est pas nécessairement le concept du Dieu personnel. Finalement, Dieu n'est qu'une catégorie de l'intuition dont la religion peut se passer.
On pourrait se demander si Schleiermacher annonce déjà Feuerbach pour lequel Dieu est une projection de l'homme. Il faut répondre négativement, contrairement à certains interprètes de Schleiermacher, tel Emil Brunner. L'Univers est bien une réalité agissante en laquelle s'enracine l'homme et qui détermine l'image qu'il se fait de Dieu. Pour Feuerbach, au contraire, l'homme est la seule réalité.
Finalement, l'expérience religieuse est immédiate, elle n'est transmise ni par un enseignement, ni par une institution. Traduit dans le langage réformateur, il faudrait dire que notre foi ne provient pas d'une autorité, mais que Dieu lui-même nous y conduit. Schleiermacher, aussi bien que les réformateurs, parlent dans ce cas de la liberté du Saint-Esprit, encore que Schleiermacher relativise le rôle de la Parole.
Cela rappelle assurément la démarche quelque peu illuministe de Thomas Müntzer qui traitait Luther de " Schriftgelehrter " (scribe) attaché à la lettre, alors que lui-même se considérait comme un " Geistgelehrter " (inspiré de l'Esprit). D'une certaine manière, il pourrait y avoir, selon Schleiermacher, un stade religieux où l'on n'aurait plus besoin de la parole extérieure, que ce soit la parole écrite de la Bible ou la parole orale de la prédication. D'ailleurs, ce n'est pas la parole qui fait naître la foi. La théologie de la Parole, caractéristique de la Réformation, est absente. Le religion se développe par le contact immédiat entre l'homme et l'Univers. La parole a tout au plus une fonction inter-humaine de communication et d'échange.
Schleiermacher ne va pas la définir par en-haut, par l'institution historique, par le Christ, mais par en bas, c'est-à-dire en partant de l'homme et de l'essence de la religion.
Quand Schleiermacher parle d'Eglise, il parle avant tout de communauté. Il y a trois raisons, selon lui, qui poussent l'individu qui a fait une expérience religieuse vers la communauté.
D'abord, tout homme a tendance, par nature, à transmettre vers l'extérieur ce qui est à l'intérieur de lui. Cela s'applique particulièrement à la religion qui, plus que toute autre chose, fait sortir l'homme de lui-même.
En deuxième lieu, l'expérience religieuse est déroutante pour l'homme. Elle s'empare de lui " violemment ". C'est l'irruption d'une " puissance étrangère ". L'individu a besoin de constater qu'il n'est pas le seul à faire une telle expérience. Il a besoin d'être légitimé par d'autres dans sa démarche individuelle.
Enfin, la religion est ainsi faite que l'individu peut seulement faire des expériences limitées, d'où la nécessité d'une communication réciproque et d'un enrichissement par l'apport d'autres expériences. Or, la communication ne se fait pas à travers les livres, mais par le dialogue entre les vivants. C'est cela l'Eglise.
Schleiermacher souligne que plus on avance en religion, plus on se rend compte de l'unité indivisible du monde religieux. A partir d'un certain degré de religiosité, il y a ouverture au tout, à la pluralité. Alors les esprits les plus divers trouvent leur place dans l'ensemble. Il n'y a donc aucune justification à appeler d'autres à venir dans son Eglise, tout au plus faut-il les aider à trouver leur religion et à former, à travers les différences, " une seule unité ".
Par la suite, Schleiermacher fera davantage place aux Eglises particulières, en se plaçant dans une perspective historique-empirique, mais sans jamais perdre de vue l'universel où l'Eglise vraie est une.
L'Eglise militante, que nous appelons multitudiniste, est l'Eglise de ceux qui sont encore en recherche de la vraie religion. La plupart de ses membres se contentent d'une attitude réceptive. Ils se contentent d'aspirations obscures. " C'est pourquoi ils tiennent tant à des concepts morts, aux résultats de la réflexion sur la religion […], ils ont besoin des actions symboliques qui sont en réalité ce qu'il y a de plus bas dans la communauté religieuse ". Mais, pour des raisons pédagogiques, il ne faut pas détruire cette Eglise de multitude.
Mais il y a aussi la vraie Eglise, l'Eglise triomphante dont font partie les hommes vraiment religieux. Elle est déjà visible sur terre, dans de petites communautés. Les prêtres de l'Eglise multitudiniste devraient en faire partie. Eux qui devraient être des " virtuoses de la religion " devraient s'exprimer de manière personnelle et transmettre ce qu'il y a en eux de véritablement religieux. Ils devraient réunir un cercle d'adeptes qui seraient entièrement sensibles à leur manière d'être et de parler. Les laïcs devraient pouvoir choisir le pasteur qui leur convient et se remettre à sa direction jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes membres de la vraie Eglise. Mais Schleiermacher se rend bien compte des résistances opposées par les grandes Eglises à un tel type de communauté. Elles imposent la contrainte doctrinale qui uniformise les choses. Elles succombent à un " pernicieux esprit de secte " qui brise l'unité de la religion. Elles privent leurs membres de la possibilité de choisir librement leur pasteur. Elles mélangent le religieux et le civil.
A la différence des Lumières, Schleiermacher renonce à chercher une religion naturelle au-delà des religions particulières. La vraie religion se trouve dans les religions concrètes, même si c'est seulement de manière imparfaite.
La diversité des religions correspond à la diversité humaine. Il faut renoncer à uniformiser. Certes, il y a beaucoup de dérives et de corruption dans les religions concrètes telles qu'elles existent, mais même dans les plus humaines, il y a encore des étincelles du divin. Tout religieux qui nous soyons, et parce que nous sommes religieux, nous sommes aussi des êtres historiques, et cela se manifeste également dans notre rapport à la religion. Nous y sommes entrés un jour, dans le temps, par notre conversion. Mais la religion elle-même est historique, dans la mesure où la conception fondamentale qui la caractérise est apparue un jour dans l'histoire. En dernière instance, on ne peut comprendre la religion que par elle-même.
Concluons
Schleiermacher a voulu placer la religion sur un terrain incontestable en partant de ce qu'on appellera plus tard l'a priori religieux en l'homme. Il a compris la religion comme un phénomène sui generis qu'il fallait distinguer de la métaphysique et de la morale.
Le théologien est appelé à réfléchir sur la religion, non pas simplement sur la religion en général, mais sur la forme qu'elle a prise dans l'histoire et sur la manière dont elle est vécue dans une Eglise. Est-ce dire que la théologie n'est pas une science parce qu'elle est en lien avec l'Eglise ? Elle l'est parce qu'elle se fonde sur des données objectives : la religion vécue, la médiation du Christ.
Il me semble que la théologie de Schleiermacher n'est pas seulement d'une grande richesse, mais que, malgré ses limites, elle a gardé une certaine pertinence, et même une certaine fraîcheur jusqu'à nos jours.
Marc Lienhard
Janvier 2001