MINORITES EMBOITEES… Comment vivons-nous notre situation religieuse minoritaire ?

Publié le par l'UPL

….C’est avec « crainte et tremblement » que je me présente à vous ce soir.

En effet c’est sur l’insistance amicale d’Ernest Winstein  que j’ai accepté de développer devant vous quelques réflexions qui m’accompagnent volontiers depuis des années…avec le sentiment, souvent, d’être « minoritaire », dans certaines situations, certains choix de vie. Pour rester dans le cadre de ce soir, ce même sentiment s’appliquait, s’applique à un positionnement par rapport à l’Eglise, à la Foi. Ceci m’a peut-être rendu plus attentif à l’autre, différent, vivant des situations de même type…

 

Je n’ai ni compétence ni autorité particulière sur le plan universitaire et/ou ecclésial, ce qui m’amène, m’autorise, à parler pour une bonne part à partir d’un parcours personnel…

Médecin, né avant la deuxième guerre mondiale, en « vieille France », je suis depuis plus d’un demi siècle au contact de malades, venus de tous horizons géographiques, culturels, religieux, sociaux…avec par la force des choses et par choix personnel, en majorité plutôt d’origine modeste ou en situation de grande pauvreté, notamment aux deux extrémités ‘chronologiques’ de mon parcours.

Une très précoce sensibilité aux évènements, vue l’époque ( les années terribles du 2°conflit mondial encore proches,  la guerre d’Indochine qui s’achevait,  la guerre d’Algérie qui commençait…), vue sans doute l’histoire familiale, m’a porté au sortir de l’adolescence vers ce qu’on appelait à l’époque « l’engagement dans le monde au nom de l’Evangile »…bénéficiant de l’amitié de prêtres qui se mouvaient dans l’esprit du futur concile Vatican II, 10 ans avant l’heure.

C’est ainsi que je militais, dès le début du conflit algérien, « contre la torture », et la «  Reconnaissance du fait national algérien », à contre courant des partisans encore nombreux de «l'Algérie française ».
De là une traversée de la Méditerranée, en 1963, au sortir  des études de médecine, pour servir volontairement, à titre civil, dans un hôpital abandonné par tous ses cadres avec l’exode tragique de la population européenne. Ma jeune femme et nos deux enfants, bien sûr en bas âge, participaient à l’équipée…

Au retour, un peu de « galère » pour compléter mes études médicales, me spécialiser et poursuivre un cursus hospitalier que je ne voulais plus quitter…

C’est ainsi qu’après plusieurs postes en Rhône-Alpes puis dans le Nord nous nous fixâmes à Sarrebourg, pour une trentaine d’années…mon épouse poursuivant une carrière de médecin de l’EN…tandis que suivant une pente amorcée pendant les années étudiantes je participais à l’animation politique locale, conseiller municipal pendant 25 ans, jusqu’en 2008.

La retraite de Praticien Hospitalier venue je me suis tourné vers « Médecins du Monde - Mission France », à Strasbourg, assumant des fonctions médicales et  de gestion d’une forte équipe de bénévoles en direction de populations, ici, sur nos trottoirs, sur nos terrains vagues, en quête de très hypothétiques papiers, « là où les autres ne vont pas », suivant le beau et ambitieux slogan de MdM.

…parlons du vrai sujet, qui ne pouvait guère être abordé sans ce préambule sans doute  trop personnel…!

Nombreux sont les Chrétiens à….                                                              S’interroger, sinon sur le recul du religieux, au moins sur l’affaiblissement des « marqueurs » habituels de la religion, fréquentation aux cultes, aux messes etc…

C’est un lieu commun de vivre dans une société « sécularisée » qui semble avoir perdu ses repères d’ordre spirituel, société laïcisée pour tout dire et nous sommes nombreux,  en France au moins, pour être attachés à la séparation de l’Eglise- au singulier, en 1905-  et de l’Etat car pour le législateur de l’époque il convenait de se défaire de l’emprise du Catholicisme romain tout en garantissant la liberté religieuse, affaire individuelle. Toutefois dans le premier quart du XX° siècle l’Eglise catholique se ralliait à reculons…à la Démocratie et à la République, dont l’affermissement devait beaucoup aux protestants,

Toutefois ce retrait apparent  de Dieu, ce « désanchantement du monde » (Marcel Gauchet) , au moins dans l’Occident chrétien, du « Nord », peut aussi être considéré, à mon sens, comme une certaine victoire : la liberté, l’égalité, la fraternité ne sont elles pas des valeurs chrétiennes, en quelque sorte « vulgarisées » et appropriées par le monde profane ? Voir l’école primaire du temps des "hussards noirs" de la République !

Cette analyse doit être nuancée à propos des églises du « Sud », beaucoup plus jeunes, parfois en plein « Réveil », avec la percée de mouvements  évangéliques…qui semblent parfois se laisser entrainer vers un nouveau cléricalisme autochtone…

Quoiqu’il en soit nous nous attendons à vivre en « MINORITAIRES » sur notre propre terroir…espèce menacée en voie de disparition, relique d’une Chrétienté, certes en partie fantasmée, mais bien réelle pendant 14 ou 15 siècles. ??

Quelques situations récentes, la résurgence de souvenirs  m’ont poussé à tenter, à mon niveau, d’aller un peu plus loin :

 

 

Au printemps dernier, dans un quartier « sensible », populaire, d’une importante  agglomération je participais à une cérémonie de confirmation dans une petite église, moderne certes, blottie, comme écrasée par  les « barres » du voisinage, poignée de chrétiens, presque incongrus dans un quartier à forte densité musulmane, sans moquée apparente…sans minaret,

                                                                                         

Temps de Noël, il y a quelques semaines, des centaines de milliers de visiteurs, de touristes, une publicité « officielle », prégnante, sympathique, prônant le « partage », la joie…sans aucune référence, sans aucune citation du sens chrétien de la fête, neutralité oblige, comme si la laïcité, que je vénère, exigeait d’évacuer ne serait-ce que l’histoire ??

Une cathédrale, la nôtre, ce joyau emblématique de Strasbourg, devenue le temps de Noël une sorte de galerie, un musée le jour d’une « grande exposition »,  avec sens de visite, entrée d’un côté, sortie de l’autre, Eingang, Ausgang , comme sur l’autoroute, deux flux, des vigiles, des consommateurs d’images, des chrétiens, des consommateurs-chrétiens ??? Pourquoi pas, mais je me sentais un peu esseulé, peu disposé à une éventuelle prière…

Un souvenir me revenait aussi, ancien de presque un demi-siècle : 1963, une cité, patrie d’Abdelkader, dans Algérie indépendante depuis quelques mois « débarrassée » de ses Pieds-Noirs, de ses Européens, une église catholique d’importation récente, elle aussi « incongrue » dans un environnement redevenu entièrement musulman en plein Maghreb qui fut, superficiellement sans doute, touché par le Christianisme, jusqu’à  la conquête arabe du VII° siècle…

Les Minorités fluctuent, changent de bord, subissent ou se rebellent, victimes ou conquérante :                                                                        

On parle dans le même temps du « Retour du religieux »… (mais aussi d’une « Sainte ignorance »)  (Olivier Roy) et en effet, par exemple :

Confusion
avec l’Islamisme politique, rêvant de prendre sa revanche sur un Occident dépravé, avachi…mécréant. Il nous faut faire la différence entre des fondamentalistes, certes éloignés de certaines de nos valeurs et un intégrisme islamiste, salafiste notamment, qui, hélas, peut inspirer un terrorisme dont des Musulmans sont, et de loin, les premières victimes,

 

Pensons aussi aux Minorités chrétiennes éparpillées dans le monde, en Irak, Coptes d’Egypte, présents depuis les premiers siècles du Christianisme, petits foyers chrétiens en Algérie, en Kabylie notamment, suspectés de faire le jeu de l’antagonisme berbère. Ces ilots, tantôt à peine tolérés, parfois victimes de violences délibérées, de mouvements de foule…Il convient de relever d’authentiques conversions, le plus souvent condamnées en terre d’Islam…

 

Israël , l’Etat juif d’Israël ne constitue t-il pas un « modèle » d’une minorité emboitée dans le vaste Orient musulman, dans lequel s’emboitent des minorités chrétiennes diverses…et une forte minorité musulmane !  Chacune des communautés se réclamant d’un monothéisme qui ne fait pas de ses croyants des « fauteurs de paix ! »…Hélas,

 

Les Minorités Musulmanes en Europe méritent, à mon sens, un plus long détour…
 

On connait les imbrications ethno-religieuses anciennes, voire purement religieuses sur les zones de contact de l’ex-empire austro-hongrois et de l’ex-empire ottoman, sources de conflits sanglants, depuis les « guerres balkaniques » du XIX° siècle-XX° siècle jusqu’aux  conflits qui ont accompagné la décomposition de la Yougoslavie dans les années 1990 avec combats, massacres, entre orthodoxes, musulmans, catholiques puis au sein même de la Serbie (Kosovo, minorité orthodoxe face à une majorité musulmane). Comment ces nationalismes drapés dans des identités religieuses, ou vice-versa, ont-ils pu se développer à moins de 2 heures d’avion de Paris, Berlin ou Bruxelles ?

 

Dans un climat plus paisible l’Islam est apparu en quelques décennies  en France principalement, en Allemagne, Benelux, Royaume-Uni…Suisse aussi !

En France cette minorité musulmane issue de l’immigration, de  Turquie, liée pour une bonne part au passé colonial, aux liens tissés avec le Maghreb, l’Afrique sub-saharienne, l’Océan indien essentiellement, se trouve en grande majorité à l’aise dans la laïcité « à la française »  héritière d’un long passé de culture « chrétienne » qui lui est plutôt étrangère.

 

Une petite minorité dans cette minorité , contexte géo-politique aidant (Islamisme militant, lui-même alimenté par l’interminable conflit israélo-palestinien) nourrit l’imaginaire d’un Réveil de musulmans humiliés par un Occident impie et affaissé dans l’incroyance et le confort… «  Nos religions (chrétiennes) sont devenues molles alors que l’Islam est une religion dure (Régis Debray) » .

 

A ce sujet il faut remarquer que le Réveil de la « Nation Arabe » illustré par Nasser, sur une base plutôt laïque a échoué – y compris par la faute des Occidentaux- et a laissé le champ libre à ce « pan-islamisme radical » qui nourrit ces dérives dans lesquelles la religion est largement instrumentalisée, à nos yeux occidentaux.

 

Sur fond de votation suisse à propos des minarets j’évoque une autre image, un autre visage d’une Foi authentique :

 

Je vois, au moment de la visite, dans mon service à l’hôpital, un vieil homme accueilli quelques heures auparavant pour un bilan, déployant un petit tapis, entre deux lits, guettant ma réaction, pour pouvoir dire sa prière…Respect…

 

                                                                                             

ALORS HIVER DU CHRISTIANISME ?

 

Comme le suggère Raymond Mengus, dans un ouvrage tout récent ?

(Les quatre saisons du Christianisme, Karthala) Le christianisme, au moins en Europe occidentale, à bout de souffle ? le message chrétien, notamment réformateur ,inspirateur de la Modernité, dissous dans cette Post-Modernité qu’on nous annonce? Victoire posthume ? Extinction de notre Minorité dans l’anonymat, l’oubli final ?
La « chute » est plus mal vécue chez les Catholiques.

 

 

DEMEURER CHRÉTIEN, VIVRE SA FOI ?

 

C’est  transmettre et vivre le message de Jésus-Christ.

Des agnostiques croient au message, je voudrais citer Régis Debray :

« …le mot fraternité a été inventé par les premiers Pères de l’Eglise. Pour qui n’a pas lu Paul cette notion est du bon sentiment pur. C’est une vision du monde visant à remplacer la fraternité biologique par la fraternité des valeurs…c’est le moment de redevenir chrétiens en esprit. L’Humanisme  républicain intégrait la grande construction théologique de l’Histoire et la Réforme…l’Humanisme comme le Christianisme se vivent au jour le jour mais ne sont pas du quotidien »  Réforme, n° 3350  7/01/2010.

 

Albert Schweitzer, dans un sermon de janvier 1905, à Saint-Nicolas, rapporté par Jean-Paul Sorg et cité par Elisabeth Parmentier :

« Jésus a soudé si étroitement l’une à l’autre, religion et humanité, qu’il n’y a plus de religion sans  vraie humanité et que les devoirs de la vraie humanité ne se conçoivent pas sans religion ».

 

Pour conclure, en me référant à nouveau à l’ouvrage* d’Elisabeth Parmentier je voudrais m’effacer devant Albert  Schweitzer dans sa « Considération finale » (traduction JP Sorg) :

Jésus c’est comme un inconnu, sans nom, qu’il vient vers nous, comme en son temps, sur les rives du lac de Tibériade, il s’était approché de ces hommes, qui savaient qui il était. Il nous dit la même parole qu’à eux : Toi, suis-moi, et nous met en face des tâches qu’il nous appartient, en son nom, d’accomplir à notre époque.
Il commande. A ceux, sages ou hommes simples qui lui obéiront, il se révélera  par la paix, l’action, les luttes et les souffrances qu’ils  vivront en communauté avec lui, et c’est comme un mystère ineffable qu’ils apprendront qui il est… »

 

 

*  « Catholiques et Protestants, Théologiens du XX° siècle », Mame-Desclée

 

 

A Strasbourg, 22 janvier 2010

Docteur Jean-Maurice Salen 

 

 

 

 

 

 

  

  

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